Réemploi : Quels indicateurs pour définir des objectifs pertinents ?

Sophie Lambert 26/01/2025
Tête Bobi
Stock de matériaux de réemploi de Rotor DC en Belgique ©Bobi Réemploi

Les objectifs de réemploi fleurissent dans les concours, les référentiels, les chartes environnementales, etc… On observe une diversité d’indicateurs, et pour n’en citer que quelques exemples :

« Économiser 5% des émissions carbone grâce au réemploi »

« Réemployer 3 matériaux dont 1 en in-situ »

« Réemployer 30 tonnes de matériaux »

« Éviter 100 tonnes d’équivalent CO2 grâce au réemploi »

« Dédier 1% du budget travaux au réemploi »

Dans cet article, nous vous partageons notre vision de la stratégie réemploi et comment nous accompagnons nos clients à la définir.

Pourquoi quantifier le réemploi ?

Aujourd’hui, le réemploi n’étant pas nécessairement moins cher que le neuf (voir notre article sur le coût du réemploi), la contrainte par un objectif chiffré reste la meilleure garantie pour arriver au bout de la démarche. En effet, nous avons observé que nos projets avec des objectifs chiffrés aboutissent à des meilleurs taux de réemploi et embarquent plus facilement les entreprises de travaux. Nous avons aussi observé un impact positif au sein de notre équipe : atteindre l’objectif fixé est toujours gratifiant, même si celui-ci représente une minorité des ressources réemployables (notre taux de réussite moyen est de 30% en tonnage). Sur nos projets sans objectif quantifié, nous avons toujours l’impression de ne pas en faire assez et terminons avec un sentiment mitigé. Or il faut rester réaliste : compte-tenu de la structuration actuelle de la filière du réemploi, il reste très compliqué de réemployer la totalité des ressources identifiées comme réemployables sur un projet !

Depuis bientôt deux ans, nous avons donc systématisé sur nos diagnostics PEMD la réalisation d’une « analyse multicritères » comprenant les indicateurs de tonnage, d’économie de CO2, de coûts en € et de surface de stockage en m². A partir de ces indicateurs, nous proposons la stratégie qui nous semble la plus adaptée au projet et en déduisons des objectifs.

Exemple d'analyse multicritère Bobi Réemploi
Exemple d'analyse multicritère Bobi Réemploi
Exemples d’analyse multicritères Bobi Réemploi

Ces objectifs sont ensuite inscrits dans les pièces marché des entreprises puis sont suivis en phase travaux avec un tableau de suivi adapté. Ils peuvent également être contractualisés dans le CCAP avec des pénalités en cas de non-atteinte. Ils doivent surtout être suivis tout au long du chantier par le même interlocuteur.

Quels indicateurs choisir ?

Plusieurs indicateurs sont possibles. Parmi les plus courants :

  • Tonnage de matériaux
  • Économie carbone réalisée
  • Nombre de lots / flux concernés par le réemploi
  • Valeur économique du réemploi (Montant des marchés de travaux dédiés au réemploi, montant de vente de matériaux, montant de l’achat des matériaux)

Chaque indicateur a ses avantages et ses inconvénients.

Notre philosophie chez Bobi Réemploi est de choisir un indicateur qui soit compréhensible par tous les acteurs du projet et qui ne soit pas une usine à gaz de calcul. Il est important aussi que l’indicateur soit porteur d’un sens environnemental, ainsi nous couplons souvent les indicateurs de tonnage et de carbone pour les projets de déconstruction. Nos indicateurs favoris sont les suivants :

DéconstructionRéhabilitationConstruction
Tonnage réemployé  

Économie carbone réalisée
Tonnage réemployé in situ (y compris sourcing extérieur)  

Tonnage réemployé ex situ   Économie carbone réalisée (au global in + ex situ)
Nombre de lots en réemploi  

Économie carbone réalisée

Comment fixer une valeur appropriée ?

Tout d’abord, il est important de définir comment l’indicateur est calculé. Comme le montre notre article sur la RE2020, l’économie carbone peut varier du simple au double selon la méthode de calcul choisie. Sans méthodologie imposée, chaque entreprise peut proposer ce qu’elle veut et les chiffres ne sont plus comparables entre eux !

Pour chaque projet, nous estimons la valeur maximale atteignable puis nous choisissons un pourcentage qui nous parait adapté en fonction des moyens dédiés au réemploi. Par exemple, pour un projet pour lequel le planning et le budget sont très contraints, nous opterons pour un objectif à 30% de la valeur maximale possible. Pour un projet plus ambitieux, nous opterons pour un objectif entre 50 et 75%. Nous préférons ensuite définir une valeur absolue plutôt que de rester sur un % : cela permet de savoir directement où l’on va, sans avoir besoin de faire des étapes de calculs supplémentaires.

Il est indispensable de faire cet exercice d’estimation de la valeur maximale atteignable pour donner un objectif cohérent : combien de projets avons-nous vu passer avec un chiffre sorti du chapeau, sans aucun lien avec le projet, voire même inatteignable ?

Bien évidemment, parfois il est très simple d’atteindre 80% du tonnage en réemploi car ce poids est uniquement porté par un gisement unique, le plus souvent inerte, comme par exemple des dalles gravillonnées. Il faut alors fixer un objectif à 80% à minima, projet contraint ou non, et pourquoi pas dégager un 2ème objectif pour le reste du projet. Les pourcentages donnés ici restent bien sûr des moyennes et il faut les requestionner à chaque projet !

En conclusion, voici quelques exemples pertinents, à adapter à votre contexte :

 DéconstructionRéhabilitationConstruction
Projet standardTonnage correspondant à 30% du tonnage réemployable identifié dans le diagnostic PEMD (si grande quantité de matériaux inertes, séparer un objectif « inertes » et « non inertes »)

Économie carbone réalisable calculée en prenant un scénario facilement atteignable, permettant d’arriver aux 30% du tonnage
Tonnage correspondant à 40% du tonnage réemployable identifié dans le diagnostic PEMD avec des flux fléchés en réemploi in situ  

Économie carbone réalisable calculée en prenant un scenario facilement atteignable, avec une méthode de calcul au réel (étapes de production et de fin de vie uniquement)
2 matériaux issus du réemploi dans 2 lots différents
Projet ambitieuxTonnage correspondant à 70% du tonnage réemployable identifié dans le diagnostic PEMD (si grande quantité de matériaux inertes, séparer un objectif « inertes » et « non inertes »)  

Économie carbone réalisable calculée en prenant un scénario facilement atteignable, permettant d’arriver aux 70% du tonnage
Tonnage correspondant à 70% du tonnage réemployable identifié dans le diagnostic PEMD avec des flux fléchés en réemploi in situ  

Économie carbone de 10 kg.eq.CO2 /m² compris impact du réemploi ex situ, avec une méthode de calcul au réel (étapes de production et de fin de vie uniquement)
20 kg.eq.CO2 / m² de SDP avec un mode de calcul RE 2020

Les limites des indicateurs

Après avoir vanté les intérêts des indicateurs, il nous faut tout de même rappeler qu’un indicateur reste un indicateur et ne doit pas être un objectif aveuglant qui ôte tout sens critique.  

Il faut se poser des questions à chaque projet, puisque chaque projet est différent :

  • Une équipe projet spécifique
  • Une localisation et un écosystème réemploi plus ou moins développé
  • Des ressources plus ou moins qualitatives et en quantités variables
  • Des possibilités ou non de stockage
  • Etc…

A partir de ces différentes données, il faut choisir les objectifs qui traduisent bien la volonté du projet plutôt que l’inverse. Les indicateurs sont un outil de mesure, mais pas un outil de conception. Il faut aussi penser les matériaux de réemploi par leurs autres valeurs que le tonnage, le carbone ou l’argent : n’oublions pas l’esthétique, l’histoire, la qualité, et surtout le bon sens.

Par ailleurs, il va parfois être simple de faire 80 tonnes de réemploi car on possède un gisement d’une grande qualité et d’un fort potentiel, mais sur d’autres projets, il faudra une grande mobilisation pour réussir à sauver 10 tonnes compte tenu des ressources disponibles. Quel projet souhaite-on valoriser le plus ? Nous pourrions envisager d’ajouter un indicateur « d’effort réalisé », mais bien sûr cela deviendrait trop complexe.

Nous pouvons conclure avec 3 lignes directrices :

  • Mesurons le réemploi car c’est ce qui permet de le rendre visible et d’embarquer une équipe projet ;
  • Mesurons-le de façon juste pour avoir des données comparables, avec un sens environnemental ;
  • Gardons notre sens critique et autorisons-nous à penser en dehors du cadre également !

Bibliographie

« Reuse Toolkit – Stratégies de prescription : Intégrer le réemploi dans les projets de grande échelle et les marchés publics » du projet FCRBE, rédigé par Bellastock et Rotor

Référentiel Habitat Durable du Grand Lyon

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