Réemploi et Ic construction : le carbone à prix cassés

Anaïs Lecerf 11/10/2024
Tête Bobi

Le réemploi constitue un moyen efficace pour diminuer les émissions de CO2 du secteur de la construction. Donner une seconde vie à des matériaux plutôt que de les jeter permet en effet de réduire les quantités de déchets produites, mais également de préserver les ressources naturelles en utilisant des matériaux ou des éléments de construction existants plutôt que d’en produire de nouveaux.


Sans harmonisation des méthodes de calcul, les acteurs du réemploi continuent à se demander : comment calculer l’impact environnemental du réemploi ?


Les prémices du calcul de l’impact carbone du réemploi : du chantier de déconstruction à la construction


Pour quantifier ce bénéfice environnemental, une ACV (Analyse du Cycle de Vie) est réalisée, le plus souvent à partir des fiches FDES de la base INIES. Il y a quelques années, nous évaluions l’impact carbone des matériaux seulement pour les opérations de déconstruction. Schématiquement, nous prenions en compte :
– les étapes de production
– l’étape de fin de vie
des FDES (Fiches de Déclaration Environnementales et Sanitaires), comme l’explique l’article « Quelle Analyse de Cycle de Vie pour un matériau réemployé ? » de notre blog.


Comme dans les ACV réalisées par les BE HQE, le choix des fiches FDES est primordial ! Les données par défaut du Ministère de la Transition écologique sont globalement surévaluées par rapport aux données des fabricants. Contrairement aux demandes actuelles de diminuer le recours aux DED (Données environnementales par défaut), qui sont globalement pénalisantes, il est avantageux de les comptabiliser dans un bilan réemploi de déconstruction qui est compté en négatif. De plus, il est difficile de faire référence à une fiche individuelle lorsque les fabricants n’ont pas été identifiés ou que les gisements de matériaux ne sont pas homogènes. Aujourd’hui, notre base de données est composée à 38% de fiches DED.


Avec l’intégration des matériaux de réemploi dans les projets, nous avons dû calculer l’impact du réemploi dans la construction. Cette fois, nous avons dû prendre en compte le cycle de vie complet du matériau, en gardant ce libre-arbitre sur le choix des FDES. Encore une fois, les fiches de DED sont favorables dans les bilans de réemploi et la référence exacte d’un produit de réemploi difficile à retrouver : tous les acteurs du réemploi sont ainsi libres de choisir leurs valeurs de référence.


Ainsi, nous avions accueilli avec enthousiasme les chiffres du Booster du Réemploi sur les réemplois de « Matériaux simples et ambitieux pour atteindre les seuils Ic construction 2025 » sortis en 2022. Cette année, nous avons pris le temps de les comparer et nous avons pu constater des disparités dans nos valeurs (voir image Comparaison pour les matériaux simples en logement) : certaines semblent anodines à l’échelle d’un matériau (par exemple pour un WC : 56,3 contre 68 kgeqCO2/u) mais l’impact est démultiplié à l’échelle d’un bâtiment.

Comparaison des valeurs données par le Booster du Réemploi en 2021 et de nos valeurs


Après échange avec le Booster nous avons pu constater que nos méthodologies de calculs diffèrent : le Booster, accompagné par le CSTB, a par exemple choisi de prendre :
– Pour les FDES avec données fabricants : la moyenne des valeurs disponibles ;
– Pour les FDES avec seulement les DED : la valeur de la DED avec un coefficient


Depuis 2021, ces calculs n’ont pas non plus été mis à jour alors que les FDES ont évolué. A partir de cette comparaison simple, on se rend donc compte qu’il existe autant de méthodes de calculs qu’il y a d’acteurs.


Impact du passage ACV RE2020


Aujourd’hui, nous devons également évaluer l’impact du réemploi dans une ACV RE2020, souvent dès la phase d’esquisse, en amont des calculs des BE HQE. L’impact carbone dans l’Ic construction d’un matériau réemployé est égal à 0 kg.eq.CO2 dans les règles de la RE2020. Le calcul de l’indicateur Ic Construction (impact carbone, en kg éq. CO2/m²) vise à sommer les émissions carbone de tous les matériaux recensés dans les DPGF du projet, ensuite ramenés à la SHAB du projet. Ces émissions de gaz à effet de serre proviennent du pouvoir de réchauffement global de la base INIES et s’évaluent sur la durée de vie/le temps d’exploitation du bâtiment : 50 ans.


Autrement dit, le réemploi d’un matériau ou équipement ayant une durée de vie inférieure à 50 ans verra son indicateur carbone multiplié d’autant de fois pour atteindre cette durée de vie ; rendant donc le réemploi d’autant plus avantageux !


Par exemple, si la durée de vie de référence (DVR) d’un matériau est de 10 ans, il faut compter 5 fois l’empreinte environnementale noté sur sa FDES (Fiche de Déclaration Environnementale et Sanitaire). Ci-dessous le passage du calcul carbone réemploi (voir partie 1) au calcul de l’Ic construction de la RE2020, pour un lavabo suspendu et 1m3 de briques pleines :

Passage du calcul carbone réemploi au calcul de l’Ic Construction RE2020 – Bobi Réemploi

De plus, les impacts environnementaux de la RE2020 utilisent la méthode de l’ACV dynamique et non plus celle de l’ACV statique. La méthode d’AVC dynamique attribue une pondération en fonction du moment où les émissions de CO2 se produisent pendant le cycle de vie d’un matériau. Cela permet de prendre en compte la notion d’urgence climatique, en défavorisant les matériaux dont les émissions carbone ont lieu en début de vie (production et mise en œuvre notamment)

En reprenant les exemples précédents sous forme d’ACV dynamique et avec les hypothèses suivantes, nous obtenons ces résultats :
 

Année 1Production
Année 2Mise en œuvre
Année 3Vie du produit
Année XFin de vie


Avec X=DVR (Durée de Vie de Référence)


Finalement, on peut voir que les résultats des calculs dynamiques d’ACV sont plus faibles que ceux des ACV statiques, du fait que les pondérations appliquées se trouvent entre 1 et 0,57.

Lavabo suspenduBriques pleinesPortes palières
Durée de vie (DVR années)2010035
ACV statique sur 50 ans (kg.eq.CO2)139.976.6130.5
ACV dynamique sur 50 ans (kg.eq.CO2)138.355.3102.9
Différence (kg.eq.CO2)1.621.327.6
Différence (%)1.1%27.8%21.2%


Tableau comparatif des résultats d’ACV statiques et dynamiques


Impact sur l’Ic construction


Concrètement, quel est l’impact du réemploi sur un projet réel en 2024 et quelles sont les évolutions à prévoir ?


En apportant un regard critique sur les quantités réemployables, nous estimons qu’un apport raisonnable de matériaux de réemploi permet aujourd’hui d’économiser 3,5 % du bilan carbone sur un projet de logement collectif et 4 % sur un projet de bureaux en construction au seuil RE2025. En passant au seuil RE2028, nous augmentons logiquement ces pourcentages pour arriver jusqu’à 4,5% pour le logement collectif.


Pour atteindre ces 3,5% de l’Ic construction dans un bâtiment de 25 logements en structure béton poteaux-poutres et façades en ossature bois nous prévoyions par exemple :

  • 90% du revêtement de façade (ici en bois, donc à faible impact sur le calcul carbone)
  • 100% des garde-corps en acier en façade (ici 200 ml) ;
  • 100 % de la structure des panneaux photovoltaïques en toiture ;
  • 100 % des tuiles en terre cuite (ici environ 100 m²)
  • 50% des équipements sanitaires et aménagements de salle de bain (13 logements) ;
  • 50% des luminaires en applique et encastrés (200 unités) ;
  • 50% du parquet des logements (400 m²) ;
  • 100% du revêtement de sol des circulations (85 m²)

En tant que BE réemploi, nous apportons notre expertise pour fixer les objectifs de réemploi et les quantités de matériaux à intégrer. Nous avons reçu le bureau d’études HQE Six sur neuf, afin d’être à jour sur l’ACV dynamique : à cette occasion, il nous a également présenté les matériaux les plus consommateurs de carbone pour l’Ic construction. En nous appuyant sur ces matériaux, nous avons calculé les impacts envisageables pour des projets de :

  • Construction de bureaux en structure bois et façade ossature bois
  • Réhabilitation de bureaux
  • Construction de logements


Ainsi, avec l’augmentation du nombre de filières de reconditionnement et l’amélioration de la qualification des matériaux, cet impact pourra même atteindre 20% de l’Ic construction pour la construction de logements et jusque 45% pour une réhabilitation de bureaux bien accompagnée d’ici 2035.


Les ACV actuelles montrent que le passage sous les seuils de la RE2028 demande un changement de paradigme sur l’acte de construire : le réemploi est un outil indispensable de ce changement et n’est plus une option mais bien un incontournable de la construction décarbonée. En restant ambitieux sur les objectifs à atteindre, nous cherchons à ajouter de la qualité aux projets et veiller à ne pas transformer le réemploi en faire-valoir d’un nouveau marketing vert.

Illustration