Esthétiques du réemploi

Théophile Ray 17/05/2024
Tête Bobi

Le réemploi s’impose comme l’une des solutions directes aux enjeux environnementaux de décarbonation et préservation des ressources dans le bâtiment. En effet, la réintégration de matériaux déposés lors de travaux de démolition ou de rénovation à de nouveaux projets permet non seulement d’éviter l’extraction de nouvelles ressources, mais aussi de réduire les dépenses énergétiques liées à la transformation et au transport de ces matières premières.

Cette démarche visant à donner une seconde vie aux matériaux a donné naissance à de nouveaux processus de mise en œuvre créatifs, détournant parfois l’usage de ces ressources pour des rendus qui marquent les esprits. Cette mise en avant des matériaux par un décalage dans leur fonction peut laisser une impression que le réemploi va de pair avec une esthétique du différent. En réalité, ce n’est pas toujours le cas : le réemploi offre une palette de solutions des plus discrètes aux plus visibles qui peuvent s’adapter et se compléter pour impacter positivement le bilan environnemental de tout projet.

Cet article est rédigé comme une exploration de certaines esthétiques possibles du réemploi au travers de références européennes. Parmi ces projets seront couverts des cas où le réemploi est moteur de l’apparence finale, tout comme d’autres cas où celui-ci s’adapte aux dépends d’une esthétique plus conventionnelle.

Le réemploi comme vitrine

Les références circulant le plus sur les réseaux et les conférences sont celles pour lesquelles la mise en œuvre du réemploi résulte sur une architecture extravagante. Les matériaux réemployés, placés au-devant de la scène, deviennent ainsi une vitrine des ambitions innovantes et environnementales de leurs projets.

Pour trouver cet effet percutant, les matériaux concernés passent par une pose non conventionnelle, une hétérogénéité des couleurs et dimensions, une fonction différente de celle pour lesquels ils étaient initialement conçus.

Ces esthétiques se prêtent bien à des projets pavillonnaires ou sur des éléments ponctuels utilisés à titre d’expérience ou comme support de communication, même si des cas à grande échelle ont aussi été réalisés. Les pistes développées par ces projets restent donc souvent situationnelles et complexes à répliquer.

À gauche : réemploi de persiennes pour la maison du projet de la Saulaie à Oullins (69)
© photo : Vladimir De Mollerat du Jeu
À droite : réemploi de menuiseries et panneaux solaires pour des logements coopératifs à Sainte-Croix (Suisse)
© photo : Cirkla, cirkla.ch

Le réemploi peut aussi apporter une vitrine narrative au projet par la mise en avant des éléments patrimoniaux ou une sélection de matériaux racontant une histoire. Particulièrement évidente pour des matériaux anciens, la démarche s’applique tout aussi bien sur des éléments modernes et marquant d’un site donné.

C’est à nouveau le décalage produit par élément ancien dans une construction neuve qui crée l’effet de surprise et marque. Cette esthétique permet de conserver une trace historique de l’architecture d’un site et devient particulièrement pertinente lors de projet de déconstruction-reconstruction.

Dépose et projet de repose d’une fresque murale à Oslo, Norvège
© Åserud, Lise, NTB scanpix / Stian Lysberg Solum, NTB scanpix / Team Urbis, Statsbygg
À gauche : façade du Conseil de l’Union européenne constituée de menuiseries importées des états membres de l’Europe à Bruxelles, Belgique
© photo : Anaïs Lecerf
À droite : façade réalisée avec des tôles utilisées en toiture avant travaux de rénovation à Bâle (suisse)
© photo : Baubüro In situ, insitu.ch

Un réemploi plus discret

Les exemples précédents décrivent un réemploi qui implique une esthétique inhabituelle qui ne correspond pas à tout projet. En particulier lorsque l’objectif est la location, il peut être préférable que les espaces répondent à des standards et permettent une haute flexibilité.

Dans ces cas, le réemploi peut être tourné vers des produits industriels : des matériaux correspondants aux produits actuels sont déjà présents sur les plateformes de réemploi. De plus, la demande croissante pour ces solutions a ouvert la porte au développement d’acteurs spécialisés industrialisant de l’offre de réemploi, élargissant la sélection et offrant des reconditionnements qui répondent aujourd’hui à des hautes exigences sur la qualité des matériaux.

Des revêtements aux équipements techniques, pour l’intérieur comme l’extérieur, il est possible de concevoir en réemploi avec l’apparence du neuf.

À gauche : Eléments de cloisons et carrelage en réemploi pour un espace de bureau à Lyon (69).
© photo : Céline Vautey
À droite : Plancher technique de réemploi pour un bâtiment de bureaux à Saint-Denis (93).
© photo : BFV Architectes, bfv.team

Toujours dans l’objectif de ne pas exposer l’histoire d’un matériau dans sa seconde vie, il est possible d’appliquer des transformations en surface pour rendre aux éléments leurs aspects d’origine. Si cette procédure est particulièrement simple pour les matériaux naturels tels que la pierre et le bois, elle peut être appliquée à de nombreux matériaux. La plupart des éléments de serrurerie, par exemple, peuvent être décapés et repeints pour reprendre une apparence neuve.

Enfin, le réemploi peut aussi trouver sa place parmi sans traces en étant concentré sur des matériaux masqués en fin de chantier, tels que les isolants, les réseaux ou même des éléments structurels.

À gauche : poteaux en bois de réemploi en support d’une poutre neuve, Paray-le-Monial (69)
© photo : Théophile Ray
À droite : Marche d’escalier réemployées en dallage, Paris (75)
© photo : Sophie Lambert

Le réemploi comme source de nouveaux produits

Avec l’essor du réemploi et face à l’urgence climatique, certains acteurs et projets ont développés de nouveaux produits avec un potentiel de massification pour détourner de la benne des matériaux jusque-là considérés comme des déchets. Cette démarche rend à ces éléments une performance et une fonction, tout en apportant de nouveaux rendus sans créer de décalage majeur.

À la différence des solutions situationnelles évoquées précédemment la production et la mise en œuvre de ces produits permettent d’envisager leur réplicabilité, voire leur industrialisation.

À gauche : Cloison avec remplissage en dalles de faux-plafond et vitrages extérieurs déposés, Lyon (69)
© photo : Léa Larchevesque / Théophile Ray
À droite : Panneaux Sylvacoustic pouvant être réalisés à base de chute de production et de dalles de faux-plafond réemployées, mise en œuvre pour des bureaux à Lamure-sur-Azergues (69)
© photo : Atelier d’architecture Herrgott & Farabosc, herrgottfarabosc.fr

Des solutions pour tout projet

Les diverses pistes de réemploi abordées peuvent également être combinées : des habillages de réemploi en façades sobres peuvent masquer des intérieurs créatifs et à l’inverse, des façades extravagantes peuvent receler des intérieurs standards.

À l’image de matériaux neufs, l’esthétique d’un projet intégrant du réemploi n’est pas tant déterminée par l’origine du matériau, mais par la manière de le mettre en œuvre. Il existe des solutions adaptées à chaque projet, que ce soit pour marquer des ambitions ou sans que cela ne soit perçu. En tenant compte de la plus-value environnementale et sociale de la démarche, la question n’est alors plus de savoir si, mais sous quelle forme le réemploi s’intègre à l’esthétique d’un projet.

Au travers d’échanges bien anticipés entre Maître d’Ouvrage, maître d’Œuvre et experts du réemploi, des solutions propres aux rendus souhaités peuvent être proposées, tout en respectant chaque contexte.

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