Deux exemples de réemploi pour des logements collectifs au Danemark

Théophile Ray 24/09/2022
Tête Bobi
©Théophile Ray, Façades des projets Upcycle Studios et Resource Rows

Le bureau d’architecture danois Lendager Group a récemment complété deux immeubles de logements sur lesquels des objectifs de réemploi ambitieux ont été atteints. Un voyage vers le Nord cet été m’a donné une opportunité de visiter Upcycle Studios et Resource Rows situés dans le quartier d’Ørestad à Copenhague.

Cet article a pour but de partager des démarches de réemploi inspirantes et de réfléchir à leur reproductibilité en relevant certains enjeux et difficultés rencontrés. Anders Lendager les décrits dans deux ouvrages détaillant les projets de son bureau : Solution et A changemaker’s guide to the future.

Les projets en quelques mots

Upcycle Studios

Le premier projet sur lequel se concentre cet article se compose de 20 maisons mitoyennes construites sur 3 niveaux. De l’extérieur, le projet se démarque par un bardage en bois sombre et de grandes baies vitrées décomposées en différents motifs irréguliers. À l’intérieur, les pièces spacieuses sont laissées brutes : les matériaux bois, métal et béton sont exposés sans revêtements supplémentaires ni peinture. Bien que l’irrégularité des matériaux soit mise en avant, la qualité esthétique du projet ne laisse pas soupçonner une construction à 69% composée de « déchets ».

©Théophile Ray, Façade du projet Upcycle Studios
©Théophile Ray, Façade du projet Upcycle Studios

Resource Rows

Le second projet dont il sera discuté est un bloc de 92 appartements, dont un tiers se base sur une typologie de villa urbaine. La végétalisation de la cour est inspirée de la réserve naturelle avoisinante. Sur ce bâtiment, l’origine des matériaux en réemploi est mise en avant avec des fragments de murs en brique déconstruits. Ils sont recomposés en bardage devant une structure bois et des bardages et revêtements bois dont l’irrégularité est exposée.

©Théophile Ray, Façade du projet Resource Rows
©Théophile Ray, Façade du projet Resource Rows

Les gisements de réemploi

L’une des forces des projets Upcycle Studios et Resource Rows est la reproductibilité des démarches de réemploi. En effet, les matières utilisées ne sont pas le résultat d’opportunités situationnelles. Elles se basent sur une analyse des sources de gisements courantes qui composent les mines urbaines. Cette première section de l’article passe en revue ces gisements, des aspects de leur mise en œuvre et les avantages ou inconvénients qu’ils impliquent.

Les rénovations énergétiques pour les fenêtres

Une des sources de matériaux identifiée est caractérisée par la rénovation énergétique, aujourd’hui perçue comme un levier essentiel aux objectifs environnementaux dans de nombreux pays. Beaucoup de bâtiments sont donc transformés chaque année. Ils génèrent des gisements qui peuvent assurer un approvisionnement continu pour les matériaux déposés sur ces opérations.

Parmi ces gisements, ce sont les fenêtres vers lesquels Lendager Group choisit de se tourner pour la construction des deux projets, un matériau qui nous avait déjà intéressé dans un article précédent. Les baies vitrées de Upcycle Studios sont donc composées à 50% d’ouvrants de fenêtres récupérés. Ils sont ensuite assemblés dans un cadre avec des éléments neufs. La faible performance technique des éléments a été compensée en plaçant les fenêtres en double épaisseur. Ce nouveau détail a dû être testé en laboratoire. Il montre une performance supérieure au triple vitrage.

Le résultat peut varier selon l’origine des fenêtres et des tests au cas par cas sont encore nécessaires. Cependant, cet obstacle peut aussi être contourné en appliquant des fenêtres de réemploi à des usages sans exigences thermiques particulières. C’est ce qui a été fait pour les menuiseries de maisonnettes en toiture de Resource Rows. Leur fonction essentiellement estivale du jardinage tolère plus de flexibilité. D’autres espaces moins restrictifs, tels que des circulations et des caves non chauffées, seraient également adaptés à cette piste de réemploi.

La production d’une fenêtre est particulièrement énergivore. Elle dépend de matériaux qui se raréfient. Par ailleurs, la plateforme INIES qui recense les ACV des matériaux montre que les fenêtres neuves ont un cycle de vie de seulement 25 à 30 ans. Il s’agit d’un matériau pour lequel des gisements en bon état seront fréquemment jetés, même à l’avenir. Des solutions permettant de réemployer les fenêtres sur un deuxième cycle de vie sont donc pertinentes sur le long terme.

©Théophile Ray, Détails des vitrages de la façade du projet Upcycle Studios
©Théophile Ray, Détails des vitrages de la façade du projet Upcycle Studios

Le bois des chutes de production

À l’intérieur comme à l’extérieur, l’ensemble des matériaux bois apparents à l’exception des cadres de fenêtres sont réalisés avec des matériaux qui auraient été incinérés en valorisation énergétique s’ils n’avaient pas été réemployés. Ces ressources proviennent en majorité de chutes issues de la production de mobilier et revêtements bois. La standardisation des dimensions et les exigences esthétiques de ces industries génèrent une masse de déchets suffisante pour pérenniser l’accès à ce second type de gisements.

En termes d’empreinte écologique, détourner ces rebuts de production d’une valorisation énergétique présente plusieurs avantages. D’une part, le carbone biogénique stocké dans le bois n’est pas relâché dans l’atmosphère. D’autre part, le matériau bois ne passe pas par les étapes de la première transformation. Les besoins en énergie et en transport de ce processus sont alors nullifiés.

L’impact environnemental d’un produit bois peut encore être réduit dans le choix de finitions plus naturelles. Ainsi, le traitement des bardages bois extérieurs des deux bâtiments s’inspire du yakisugi. Il s’agit d’une technique japonaise par laquelle le bois est simplement brûlé. Elle rend une surface carbonisée plus résistante aux moisissures, aux insectes et aux intempéries. Ce traitement a été complété avec une couche d’huile de lin.

Le réemploi de chutes de production, ainsi que le choix de traitement bas carbone ont imposé aux projets des propriétés esthétiques propres. Celles-ci sont exposées dans l’irrégularité des revêtements. Les éléments s’alternent en bandes d’épaisseurs variables et dans la couleur sombre des bardages extérieurs. Alors qu’ils devaient être incinérés, ces déchets sont devenus une part entière d’un rendu de haute qualité architecturale.

©Théophile Ray, Détails du bardage bois de la façade du projet Upcycle Studios
©Théophile Ray, Détails du bardage bois de la façade du projet Upcycle Studios

Plus de bois et un peu de béton sur les chantiers

Lendager Group a identifié les rebuts de chantier comme une source dont ils pourraient tirer des gisements supplémentaires de matériaux. Ainsi, sur les travaux d’extension du métro de Copenhague, des éléments ont notamment pu être détournés de la benne. Utilisés pour le transport et la mise en œuvre de matériaux de construction, ils ont été réemployés comme bardages en façade et revêtements en terrasse du projet Resource Rows.

Les déchets de chantier bois ne manquent pas : enrouleurs de câble, palettes, panneaux de coffrage, contreforts et bien d’autres éléments bois sont communs et rarement conservés après un premier usage. Néanmoins, pour que la masse de matériaux qualitatifs et récupérables soit pertinente pour une utilisation à l’échelle de logements collectifs, des gisements conséquents sont nécessaires. Les transformations du métro sont une des très nombreuses opportunités de mettre les travaux d’infrastructure à profit de démarches de réemploi.

C’est également sur les chantiers du métro que Lendager Group a récupéré des graves de béton qui ont été concassées, puis mélangées dans un béton recyclé mis en œuvre pour les voiles et les dalles de Upcycle Studios. L’essentiel de l’empreinte écologique du béton se trouvant dans le ciment, l’impact sur le bilan carbone reste relativement faible, mais pas négligeable. De plus, c’est une démarche qui permet de traiter l’excès de l’un des principaux déchets issus des activités du BTP.

La démolition pour un revêtement en brique

Après les travaux publics, c’est la démolition qui émet le plus de déchet dans le domaine du BTP. C’est donc non seulement l’une des principales sources de gisements disponibles en termes de volume, mais aussi un impératif à traiter pour réduire les déchets. C’est un sujet que Lendager Group aborde en composant les façades de Resource Rows avec des briques de réemploi.

Le réemploi de briques anciennes est déjà une pratique fréquente. Le matériau fait partie des stocks courants chez les brocanteurs spécialisés. C’est aussi un matériau dont la dépose est relativement facile. Plus solide que le mortier qui les assemble, les anciennes briques pleines peuvent être séparées, nettoyées et revendues à l’unité. Ce n’est plus le cas des appareillages plus récents, composés de briques alvéolaires et de mortier au ciment . Le liant étant devenu plus résistant que les briques, il n’est plus possible de séparer les éléments sans casse.

Plutôt qu’une dépose brique par brique, Lendager Group a développé un moyen de récupérer directement des sections de murs de 1 à 2,5m de côté. Pour ce faire, des fragments rectangulaires sont disqués sur un site en démolition, puis renforcés avec du ciment.

©Théophile Ray, Des fragments de murs sont sciés et renforcés avec du ciment
©Théophile Ray, Des fragments de murs sont sciés et renforcés avec du ciment

Dans le cas de Resource Rows, ces fragments sont réassemblés en panneaux d’une hauteur d’étage et montés en bardage sur une structure bois. Pour compléter la composition, certaines briques anciennes ont été employées de manière ponctuelle.

Une réserve peut être gardée concernant le bilan carbone de l’opération. En doublant l’épaisseur des fragments de murs déposés avec un renfort en béton, une part de l’énergie préservée en détournant les briques de la benne est à nouveau dépensée dans le processus de réemploi. Mais les bilans calculés par Lendager Group restent positifs et la méthode peut être optimisée. Par ailleurs, un processus permettant la dépose d’un assemblage sans casse ouvre une voie créative pour la récupération de matériaux jusqu’alors considérés comme trop fragiles pour le réemploi.

©Théophile Ray, Détails de la façade du projet Resource Rows
©Théophile Ray, Détails de la façade du projet Resource Rows

Des aspects du processus

La recherche organisée de gisements et les techniques créatives de mise en œuvre ne sont pas les seuls facteurs qui ont facilité le réemploi dans la réalisation de ces projets. Les acteurs impliqués dans les processus décisionnels ont aussi dû revoir leur rôle et la gestion du projet lors des différentes phases.

Le rôle revisité des acteurs

Le bureau Lendager Group est lui-même subdivisé en trois branches. Lendager ARC est spécialisé dans l’architecture. Lendager TWC prend le rôle de bureau d’étude. Et Lendager Up prendre en charge la transformation, l’approvisionnement et la pose des matériaux. Cette subdivision permet non seulement au groupe de développer ses propres matériaux pour ses projets, mais aussi de les fournir et les mettre en œuvre au besoin. Ainsi, sur les projets Upcycle Studios et Resource Rows, Lendager Group a dû produire du béton, effectuer des secondes transformations de matériaux bois et fournir des fenêtres. L’engagement sur ces rôles ne résultent pas d’une décision en amont. Il s’agit d’une adaptation aux nécessités sur le moment qui est rendue possible par la pluridisciplinarité du groupe.

De même, la réalisation de ces projets n’aurait pas été pareil si la maîtrise d’ouvrage et l’entreprise générale n’avaient pas défini des objectifs ambitieux dès les phases d’avant-projet. Ils ont également participé au développement au-delà des phases habituelles. Aussi, ils ont appliqué de nouveaux modèles économiques au processus de conception et de construction. Ce sont ces différents aspects qui ont aidé les architectes à se préparer et à réagir aux inattendus liés à l’emploi expérimental des matériaux.

Flexibilité à la conception

La souplesse donnée au projet a permis à Lendager Group de démarrer un sourcing de matériau avant même que les projets aient reçu une image. Par conséquent, ce sont les matériaux trouvés qui définissent la volumétrie et le rendu des projets, contrairement à la tendance actuelle où les matériaux sont sélectionnés sur la base d’une image rendue en amont. Avec cette façon de procéder, plusieurs aspects constructifs et esthétiques des projets ont été adaptés pour la construction. Cependant, l’importance donnée aux matériaux n’a jamais empiété sur la qualité architecturale des projets. Pour Anders Lendager, un projet n’est durable que s’il est apprécié et habité sur un ou plusieurs longs cycles de vie.

Les appartements de Resource Rows et Upcycle Studios ont pu être livrés sans surcoûts conséquents. Les loyers sont adaptés au marché local et l’ensemble des logements a été habité sans délais. Selon le retour de certains habitants, ils étaient attirés par les aspects de durabilité, de qualité de l’air, ainsi que par l’histoire des matériaux qui composent ces bâtiments. Les aléas du processus et les risques encourus sont devenus les forces commerciales des projets une fois terminés.

Conclusion

Au final, 69% de la masse de matériaux mise en œuvre sur le projet Upcycle Studios sont issus d’éléments détournés de la benne par recyclage ou réemploi. C’est notamment la mise en œuvre de béton recyclé qui permet ce résultat. Sans matériaux revalorisés pour le gros-œuvre, le projet Resource Rows présente malgré tout un taux de matériaux réemployés de 9% de sa masse. Une économie d’énergie et une réduction des émissions de CO2 significatives est possible, même sans traiter les éléments de structure.

La construction de logements collectifs est encore un domaine dans lequel le réemploi peine à progresser alors qu’il s’agit d’une grande partie des nouvelles surfaces construites chaque année. Les solutions apportées par Lendager Group et reportées dans cet article sont reproductibles au Danemark comme en France. Elles nous invitent à créer des alternatives pour le réemploi et atteindre une construction plus frugale sans compromis sur les enjeux économiques et esthétiques de l’architecture.

Bibliographie

Illustration