Faut-il faire évoluer nos attentes pour intégrer plus de réemploi ?

Sophie Lambert 03/10/2025
Tête Bobi
Saurez-vous trouver quels sont les matériaux de réemploi sur cet aménagement de bureau ? Crédit photo : Bobi Réemploi

En réunion de conception, avec la maîtrise d’œuvre ou la maîtrise d’ouvrage, nous entendons régulièrement des objections du type :

« Non là-dessus nous ne ferons pas de réemploi, il faut que les matériaux soient homogènes sur tout le bâtiment, que nous ayons le choix de la référence exacte, et d’une qualité équivalente à du neuf »

Pour certains matériaux, nous sommes d’accord, pour d’autres, nous souhaitons questionner cette volonté du tout homogène, du choix parmi un nombre de références infinies et du tout lisse, tout neuf. A travers quelques exemples de projets livrés ou en cours, nous vous partageons notre argumentaire.

Questionnons le tout homogène au regard des usages

Le sujet de l’homogénéité attendue du réemploi nous a particulièrement frappés sur deux projets concernant du mobilier de bureau.

Un inventaire exhaustif des différences pour tendre vers l’homogénéité par espace

Nous avons réalisé un inventaire mobilier sur un bâtiment de plus de 15 000 m², construit dans les années 2000, sur lequel un réaménagement complet des plateaux est prévu afin d’optimiser l’agencement au regard de l’utilisation réelle des espaces. Pour cela, la maitrise d’ouvrage a la bonne démarche de vouloir réemployer : la majorité du mobilier (et des matériaux) est en très bon état, tout a été acheté en 2007 ou plus tard, une partie du mobilier étant même encore en cours d’amortissement comptable.

L’inventaire est fastidieux à réaliser : pas moins de 100 typologies de bureaux différentes, 60 typologies de fauteuils de bureaux, 140 typologies d’armoires de rangement, 70 typologies de caissons à tiroir, etc… C’est tout simplement la vie d’un bâtiment depuis bientôt 20 ans : renouvellements partiels du mobilier, ajouts personnels des salariés, déplacement de son meuble fétiche dans un nouveau bureau.

Mobilier de bureau
Du mobilier qui semble très homogène, mais il y a au moins 2 typologies de bureaux différentes et 3 typologies de fauteuils de bureaux !

Nous remettons notre inventaire en espérant que ce niveau de détail leur permettra de suivre au mieux le déplacement du mobilier d’un espace à un autre, l’opération étant prévue en tiroir. Quelle surprise lorsque nous rencontrons l’architecte en charge de concevoir le nouvel aménagement : elle prévoit d’utiliser notre inventaire pour identifier les lots exactement identiques (parfois, les pieds d’un même modèle de bureau ne sont pas de la même couleur : il s’agit de deux typologies distinctes) afin de les réemployer tels quels, et les lots disparates vont eux repasser par une entreprise de reconditionnement pour ré-homogénéiser le mobilier (changement des plateaux par exemple). Certes, l’homogénéité est recherchée par zone, et non pas sur toute la surface du bâtiment, mais nous sommes étonnés de toute cette énergie déployée à uniformiser un gisement, qui aujourd’hui est qualitatif mais a le défaut de présenter quelques disparités. Pourtant, il est certain que quelques mois après la livraison de chaque zone, le mobilier sera de nouveau mélangé, comme il l’a été lorsque nous sommes venus refaire un contrôle 6 mois après le premier inventaire.

Ne serait-il pas plus raisonnable d’accepter de façon réaliste la vie du bâtiment et son appropriation par les occupants ? Ce serait un gain d’énergie, d’argent, de temps, et est-ce que le confort des usagers en serait dégradé ?

Fournir un lot homogène dans un espace déjà dépareillé

Le second projet concerne la fourniture de mobilier pour un espace de 8 postes de travail, nouvellement aménagé au sein d’un bâtiment existant. Nous nous étions engagés sur la livraison d’un lot homogène de mobilier. Au moment de livrer, panique : on se rend compte que les fauteuils de bureau ne sont pas tous identiques. Ils sont tous noirs, en tissu résille, avec des accoudoirs, mais n’ont pas la même forme. Notre alternant s’était trompé lors d’un achat précédent, en attribuant un mauvais modèle à un autre client. Nous présentons cette solution dépareillée au client qui la refuse : tout doit être impérativement identique. Problème résolu en proposant un échange de modèle au second client pour lequel on s’était trompé de modèle, et ainsi être conforme à notre engagement initial, mais tout de même, la question se pose : pourquoi ne pas accepter l’hétérogénéité ? Le bâtiment où ce mobilier a été livré n’est pas du tout aménagé avec ce même mobilier. Il suffira qu’un salarié ramène son fauteuil personnel ou demande un poste ergonomique pour que l’homogénéité disparaisse.

Cette question de l’homogénéité se pose aussi pour les matériaux : les plateaux de bureaux où chaque preneur va finalement changer son aménagement, les logements où chacun refera finalement sa peinture, sa cuisine, son salon en fonction de ses moyens, etc…

Soulignons tout de même qu’au contraire nous rencontrons des maîtrises d’ouvrages et maîtrises d’œuvres très ouverts à cette question, prêts à travailler l’hétérogénéité !

Quelle gamme de choix est nécessaire ?

Est-ce que je vais pouvoir trouver en réemploi la référence exacte que je souhaite mettre en œuvre ? La réponse est non en général, mais retournons la question : quelle référence souhaitez-vous mettre en œuvre et pourquoi ?  Quelles sont vos attentes ?

  • Performances techniques du produit ?
  • Esthétique ? Coloris ?
  • Valeurs éthiques, écologiques ?
  • Attachement à un fabricant, relation privilégiée avec le service commercial ?
  • Coût ?

En repartant des attentes réelles, on peut ouvrir de nombreuses possibilités en réemploi !

Par ailleurs, c’est une pratique courante sur les chantiers en neuf : les entreprises proposent toujours des variantes équivalentes à la gamme prescrite, qui sont généralement acceptées lorsqu’une économie financière est possible.

Nous avons récemment livré l’extension des bureaux du Cèdre à Paray Le Monial, où de nombreuses réunions, des visites de chantier de dépose soignée, une précision du besoin du client, ont permis d’intégrer massivement du réemploi tout en répondant à la demande initiale !

Pour la moquette, la maitrise d’ouvrage voulait impérativement des coloris similaires à la partie existante de ces bureaux : c’était finalement la seule contrainte qui a été facilement levée en anticipant le sourcing !

Pour les cloisons, la maitrise d’œuvre était partie sur des cloisons placo, peintes dans des tons clairs, avec des châssis bois vitrés encastrés. La demande était une bonne acoustique, de l’ouverture entre les bureaux grâce aux vitrages, des tons clairs qui s’associent bien aux matériaux naturels mis en œuvre par ailleurs. Lorsque nous avons présenté la solution des cloisons amovibles et que l’équipe projet a visité un chantier de dépose avec un gisement pertinent, elle a tout de suite été convaincue.

Et une anecdote sur le choix des luminaires suspendus décoratifs : l’architecte nous a confié que c’était toujours un moment angoissant de devoir proposer des luminaires parmi une gamme infinie… Le fait de trouver son bonheur parmi notre sélection de luminaires de réemploi (qui ont été recâblés et relampés pour répondre aux exigences techniques et assurantielles) a été un grand soulagement et un gain de temps !

Espace de bureau aménagé en réemploi
Les fameux luminaires de réemploi !

Pourquoi une volonté du tout lisse ?

Enfin, nous sommes tous habitués à acheter du neuf « tout lisse », sans aspérité et sans aucun défaut. Nous attendons la même chose d’un bâtiment neuf livré. Pour un matériau de réemploi qui aura eu une première vie, une étape de dépose, de transport et éventuellement de reconditionnement, avoir cet aspect lisse peut être un vrai challenge !

Et pourtant, nous savons tous que quelques jours après la livraison, des rayures apparaîtront au sol avec le déménagement, que les agencements en stratifié auront déjà quelques coups, et que des traces de doigts marqueront les peintures, les portes, parfois même les plafonds démontés pour adapter les lots techniques.

Nous avons la chance de travailler avec des maitrises d’ouvrages ouvertes à ce sujet, en particulier sur de la réhabilitation. Nous livrons en ce moment des kitchenettes pour une résidence étudiante, dans un bâtiment ancien réhabilité. Le client était prêt à poser du réemploi puisqu’il a cherché à conserver au maximum l’existant et donc la patine du temps se voit dans le bâtiment. Ainsi, nos kitchenettes ne sont pas « parfaites » mais les principaux défauts ont été soit remplacés par des pièces neuves (nouveaux panneaux stratifiés) ou estompés avec de la pâte à bois ou de la cire pour les revêtements stratifiés. Notre client a conscience que ces chambres étudiantes vont être louées rapidement et vivre avec leurs locataires, engendrant des « traces », non pas seulement sur nos cuisines de réemploi mais aussi sur d’autres matériaux neufs qui ont été posés.

Pose de kitchenettes de réemploi

Nous vous invitons ainsi à questionner nos attentes sur les bâtiments que nous livrons aujourd’hui : prendre du recul en intégrant les usages futurs, définir nos attentes fondamentales pour lâcher prise sur certaines « fausses exigences », accepter le micro-défaut qui raconte la vie du matériau et sera vite rejoint par d’autres marques, dues à la vie, tout simplement !

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