Le réemploi, entre artisanat et industrialisation

Etienne Lamaud 20/06/2022
Tête Bobi
©Pixa Bay, La main de l’artisan, la répétitivité des process

Cet article a été rédigé par Etienne Lamaud lors de son stage chez Bobi Réemploi.

Dans l’article précédent, nous avons tenté d’évaluer la faisabilité technique de procédés industriels appliqués aux matériaux que nous inventorions dans nos diagnostics PEMD. Bien que les deux démarches soient valables, le choix de la manière de produire (ou de remettre en état d’usage) touche des sujets économique, écologique et philosophique.

Si la construction hors site de modules complets présentés précédemment offre de nombreux avantages (rapidité, coûts, réduction des déchets et démontabilité en vue du réemploi), ce type de construction est aujourd’hui très minoritaire dans nos « mines urbaines » de matériaux de réemploi. Cet article se concentre donc principalement sur l’approche « matériau » de l’industrialisation et de l’artisanat appliqués au réemploi.

Quels avantages à l’industrialisation de matériaux de réemploi ?

L’industrialisation de matériaux de réemploi, dont nous avons évoqué des exemples concrets dans l’article précédent, présente des avantages certains. Le premier étant de s’insérer dans un fonctionnement proche de la plupart des fabricants de grands volumes de matériaux. Un processus optimisé en usine permet de gérer des flux beaucoup plus importants que des artisans dispersés sur le territoire. Ainsi il est envisageable de disposer de stocks réguliers qui assurent la disponibilité des matériaux. De telles usines pourraient sans doute augmenter considérablement la quantité de matériaux de réemploi disponibles sur le territoire. Elles pourraient ainsi les instaurer comme des alternatives systématiques aux matériaux neufs.

De plus, le reconditionnement ou les modifications en usine ont lieu au travers de procédés précis. Des tests peuvent être effectués (résistance au feu, à la charge, acoustique) afin de mettre en jeu l’assurance de l’usineur. Mobius Réemploi propose par exemple une garantie de 2 ans sur ses dalles de faux plancher. Bien que les AMO Réemploi comme Bobi soient capables de gérer les sujets assurantiels sur l’ensemble des matériaux de réemploi, nous savons par expérience qu’un matériau normalisé avec une garantie est très rassurant.

Travailler avec des matériaux de réemploi standardisés dans des procédés d’usinage permet également de démocratiser le réemploi auprès des constructeurs qui ne sont pas formés à la conception en réemploi. Cela permet de garantir un fonctionnement similaire aux méthodes classiques avec les mêmes ouvriers, et donc potentiellement participer à la massification du réemploi.

© Frédéric Delangle, 22 000m² de faux plancher fournis par Mobius à BFV Architectes pour la bâtiment Pulse ont permis de grandes économies de GES avec un approvisionnement similaire au schéma classique
© Frédéric Delangle, 22 000m² de faux plancher fournis par Mobius à BFV Architectes pour la bâtiment Pulse ont permis de grandes économies de GES avec un approvisionnement similaire au schéma classique

Enfin, on observe depuis plusieurs années des difficultés à créer une nouvelle génération d’ouvriers/artisans du bâtiment. Les tâches les plus répétitives ne sont pas attractives, notamment à cause des conditions de travail et de la reconnaissance. Les processus appliqués en usine nécessitent des savoir-faire beaucoup moins spécialisés et offre des opportunités d’insertion pour les personnes en marge, avec des conditions de travail mieux contrôlées.

Bien que ces métiers soient souvent perçus comme pénibles, les acteurs du milieu du réemploi savent réutiliser les codes de l’industrialisation comme une passerelle sociale. En particulier les structures qui gèrent des stocks de réemploi ou des procédés d’industrialisation et de reconditionnement. La grande majorité comprend des associations avec vocation d’insertion sociale ou des entreprises à but d’emploi. Elles contribuent également en majorité à l’ESS (Economie Sociale et Solidaire).

De la nécessité de l’artisanat pour le réemploi

La première limite de l’industrialisation qui justifie le développement de l’artisanat du réemploi est que de nombreux matériaux ne peuvent pas s’adapter facilement à des processus industriels pour le réemploi. Or, afin de lutter contre l’épuisement des ressources, nous ne pouvons pas nous passer de ces gisements. Ils constituent au moins la moitié des matériaux que nous diagnostiquons.

D’un point de vue idéologique, il faut observer que l’industrialisation des matériaux a historiquement permis de produire à bas coût grâce à l’exploitation intensive des matériaux en décorrélant le besoin de l’offre de production. Dans une logique d’économie circulaire et de sobriété dans notre utilisation des ressources, il semble plus responsable de se tourner vers des méthodes artisanales qui cherchent à répondre à un besoin local précis, en gardant un lien fort avec la matière et l’effort nécessaire à l’extraire et à la mettre en œuvre.

Au niveau des emplois, on observe que l’industrialisation du réemploi, parce qu’elle est portée par des projets d’insertion et peu mécanisée, n’engendre pas les mêmes revers que l’industrialisation mécanisée classique, à savoir la réduction de la main d’œuvre et la pénibilité des emplois. Cependant, la décentralisation liée à l’artisanat permet des emplois mieux répartis sur le territoire. Quoi qu’il en soit, les acteurs du réemploi ont à cœur, dans leur application de l’industrialisation ou dans l’artisanat, de miser davantage sur le travail humain que sur les ressources.

De plus, les artisans sont porteurs d’un savoir-faire unique adapté à des techniques constructives locales et généralement mieux adaptées écologiquement que les techniques modernes. Conserver et démocratiser ce savoir est un combat déjà mené par d’autres alternatives écologiques comme la construction en terre crue dans des structures comme amàco ; il pourrait également bénéficier au développement du réemploi. Ces compétences peuvent apporter des emplois locaux plus gratifiants pour les artisans qui portent l’identité constructive de leur région, avec des matériaux de grande qualité et donc plus durables et forcément plus aptes à assumer plusieurs cycles de vie successifs.

© Bobi Réemploi, Escalier en pierres taillées : les éléments patrimoniaux ne sont pas les seuls à pouvoir prétendre à une 2ème vie, mais leur qualité est gage de durabilité
© Bobi Réemploi, Escalier en pierres taillées : les éléments patrimoniaux ne sont pas les seuls à pouvoir prétendre à une 2ème vie, mais leur qualité est gage de durabilité

Conformément à cette volonté de conserver les compétences locales, on peut observer que les artisans et designers du réemploi développent des dynamiques de partage, notamment au sein de collectifs, qui participent au développement de la filière et à la diffusion des compétences techniques des artisans. Ce fonctionnement est particulièrement pertinent pour le réemploi car notre mission principale est de mettre en relation des matériaux déposés avec de nouveaux projets. La communauté Re-Store par exemple illustre bien cette réunion d’architectes, de créateurs et d’ingénieurs spécialistes du réemploi au sein du même collectif.

Enfin, du point de vue de la conception, l’intégration de matériaux de réemploi est une contrainte féconde pour de nombreux projets d’architecture car le réemploi et le détournement d’usage n’ont que la créativité de l’architecte comme limite. Dans notre expérience, les maitrises d’œuvre qui nous contactent pour des projets de réemploi cherchent plutôt cette singularité architecturale qui apporte une qualité supplémentaire au projet.

©Lendager, Réemploi de panneaux de briques de façade pour le projet The Resource Rows
©Block Architects, Réemploi de persiennes pour le projet Vegan House
à gauche – ©Lendager, Réemploi de panneaux de briques de façade pour le projet The Resource Rows
à droite- ©Block Architects, Réemploi de persiennes pour le projet Vegan House

Les matériaux originaux d’un site portent l’histoire du lieu à travers leur forme mais aussi leur usure naturelle. La mise en œuvre de projets originaux qui mettent en valeur cet héritage, comme les références ci-dessus, nécessitent une conception unique et donc des opérations adaptées exceptionnellement au projet. La standardisation nécessaire à l’industrialisation limite à la fois la capacité d’un matériau à porter une histoire unique, et la possibilité d’appliquer des processus d’usinage à des détournement singuliers.

Le nécessaire développement conjoint des techniques artisanales et industrielles

Dans ces deux articles, nous avons évoqué, pour le cas spécifique du réemploi, un certain nombre d’avantages et de limites de l’artisanat et de l’industrie selon le contexte et les matériaux considérés. Il apparaît donc que ces deux démarches, au lieu de s’opposer, sont complémentaires pour permettre le développement du réemploi à une échelle à la hauteur des enjeux écologiques et sociaux de notre époque.

Il est bon de souligner que des initiatives industrielles, notamment la construction hors site, intègrent les problématiques de réversibilité des bâtiments et de déconstruction afin d’allonger la durée de vie du parc existant et de concevoir les habitats futurs. Cependant, elles sont difficilement conciliables avec un marché de fourniture de réemploi encore trop peu mature.

Concernant les matériaux que nous diagnostiquons dans nos projets, il semble nécessaire d’utiliser les procédés industriels sur les produits standardisés afin de démocratiser le réemploi sur des matériaux très courants. Mais il est également nécessaire de développer un réseau local d’artisanat du réemploi et de concepteurs capables d’exploiter les gisements peu industrialisables, afin de donner à voir toute la puissance créative du réemploi, tout en soutenant un monde du bâtiment plus enviable humainement.

Bibliographie

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