La réussite d’une opération de réemploi ne se mesure pas seulement lors de la fin d’un chantier de dépose, mais bien quand les matériaux ont réussi à trouver preneurs. Les opérations cherchant à intégrer les matériaux se multiplient et avec elles, la réflexion de leur nouvelle mise en œuvre. Cette réflexion nous a amené.e.s à nous familiariser avec de nouveaux concepts, notamment ceux traitants de la fin de vie des bâtiments, comme la démontabilité et le cradle-to-cradle.
Bobi vous décrypte ces pistes de réflexion pour la conception !
La démontabilité : une réflexion engagée dans les années 50
L’introduction de la prise en compte de la fin de vie des bâtiments dès la conception a connu un regain d’intérêt au début des années 2000, avec notamment la parution du livre homonyme de William McDonough et Michael Braungart : Cradle to Cradle: Remaking the Way We Make Things (2003). Mais les premières rélexions sur le thème « construire, déconstruire, reconstruire » datent des années 1950 et de l’essor de l’industrialisation des procédés constructifs.
L’industrialisation a en effet lancé une ruée vers de nouveaux procédés de fabrication qui promettaient une rapidité d’exécution, mais également vers la création de nouveaux assemblages. Les matériaux de construction ont donc évolué en conséquence : métal et béton pour les structures principalement, mais également des panneaux de façades préfabriqués en bois, béton ou métal ou encore des revêtements intérieurs en bois ou béton désactivé.
Parmi les figures emblématiques de cette pensée, on retrouve Jean Prouvé et l’ensemble de ses constructions préfabriquées, aux assemblages mécanisés. Un exemple incroyable de rénovation de ses réalisations fut celle de la façade du bâtiment V de l’Unesco (arch. Bernard Zehrfuss) réalisée en 2009 par l’agence Patriarche : la façade, conçue comme une double paroi ventilée, était fermée par des cassettes métalliques entièrement démontables qui ont permis la mise à niveau énergétique du bâtiment.
D’autres exemples courants se retrouvent dans les prémisses de l’industrialisation des logements collectifs dans les années 50, avec notamment le glissement du tertiaire vers le logement de structures poteaux-poutres en acier, avec des remplissages préfabriqués pour les verticaux (façades, cloisonnements entre logements). Le procédé Estiot en est l’un des exemples, et nous avons pu rencontrer sa structure encore lisible dans un projet de diagnostic à Dijon.
Cette démontabilité a peu à peu été abandonnée au profit d’autres principes constructifs (rapidité de mise en œuvre, économie de projet…) et notamment face au recours massif au béton dans les constructions en France.
Cradle-to-cradle et DfD : définitions
Deux termes anglais se croisent dans le domaine de la démontabilité : le cradle-to-cradle et le DfD (Design for Deconstruction ou Design for Disassembly). Le premier consiste en une vision nouvelle des produits en fin de vie, pour y voir des ressources plutôt que des déchets. Une méthode dite « cradle-to-cradle » intègre un processus circulaire dans la vie des produits, les transformant sans fin en ressources. Elle englobe à la fois : la production du produit, sa mise en œuvre (qui doit permettre sa démontabilité), son utilisation et sa fin de vie. Cette dernière étape comprend alors éventuellement le démontage, le recyclage ou le réemploi du produit.
Le Design for Deconstruction est quant à lui directement appliqué au bâtiment : le concept part du constat que l’impact économique de la déconstruction est encore trop fort, et que son déroulement devrait être intégré dès la création des bâtiments. La conception est pensée pour faciliter les changements d’usage lors de la vie du bâtiment, mais également pour sa déconstruction partielle ou totale. Elle comprend à la fois les éléments structurels, les composants techniques et les matériaux. La conception est alors poussée pour que les assemblages, le choix des matériaux et des composants et les systèmes de gestion favorisent le réemploi, le recyclage et le surcyclage.
Le DfD s’applique au travers de 10 principes clés (DfD Seattle) :
Ces deux concepts se mêlent lorsque la fin de vie d’un bâtiment est intégrée à la conception : elle peut conduire à des choix techniques alternatifs, qui sont présentés dans le Guide de la Fondation Energie Bâtiment « Guide d’aide à la conception pour la démontabilité ».
La théorie des couches et exemples concrets
Pour comprendre comment une conception peut être flexible et démontable, la « théorie des couches » est primordiale : les différentes couches d’un bâtiment n’ayant pas la même durée de vie utile, il est essentiel de les rendre indépendantes les unes des autres. Le schéma ci-après illustre la décomposition d’un bâtiment ; il est assez aisé de s’y référer lors d’une phase de conception.
Il faut idéalement prévoir des niveaux de flexibilité forts pour les couches aux durées de vie courtes, et diminuer progressivement cette flexibilité pour les durées de vie plus longues.
Cependant, il est également possible de favoriser la flexibilité même dans les éléments aux durées de vie les plus longues, comme la structure. Dans le « Guide pour la démontabilité » de la FBE, des exemples sont déclinés, comparant les techniques traditionnelles et les solutions alternatives favorables à la démontabilité.
Au niveau structurel, il est donc proposé de privilégier les filières sèches (bois, acier) aux filières humides (maçonneries, parpaings, béton) ; mais également de privilégier des structures poteaux-poutres aux voiles-refends (qui sont pour autant des solutions courantes toutes les deux).
Intégrer les MOE réemploi dès la conception
L’intégration du cradle-to-cradle ou la mise en place d’une démarche DfD peut étroitement se mêler aux démarches d’intégration de matériaux de réemploi dans les projets neufs. En effet, ces concepts permettent d‘aborder les projets de manière plus globale, en pensant la vie complète du bâtiment. Les experts du réemploi étant en première ligne pour la déconstruction, ils sont également à même de penser cette dernière dès la conception.
Au vue des impacts financiers des déconstructions sélectives, le réemploi n’est plus aujourd’hui seulement à prévoir lors de la fin de vie du bâtiment : il est essentiel pour l’économie de matière et de projet de l’inclure au plus tôt.
Nous veillons à apporter ces notions de conseil lors de nos échanges en amont avec les architectes, pour privilégier la flexibilité et la frugalité dans les solutions techniques proposées. Dans un de nos projets en Bourgogne-Franche-Comté sur lequel nous intervenons en qualité d’AMO réemploi et économie circulaire, nous combinons la création de scenarii de démontabilité et la recherche de gisements de matériaux de réemploi, pour privilégier le bon sens dans cette rénovation-extension de bureaux.
Pour échanger sur cette vision globale et circulaire du réemploi, n’hésitez pas à nous contacter !
Bibliographie & Références
- Guide d’aide à la conception pour la démontabilité, Fondation Bâtiment Energie, 2020
- Design for Disassembly in the built environment : a guide to closed-loop design and building, B.Guy, N.Ciarimboli, Hamer Center for Community Design, 2008
- Construire réversible, Agence Canal, 2017
- Cradle to Cradle: Remaking the Way We Make Things, W. McDonough et M. Braungart, 2003
- Démontabilité, sur le site bazed.fr