Le déclassement d'usage d'un matériau pour faciliter son réemploi

Sophie Lambert 18/11/2020
Tête Bobi
©Atelier R-are, fenêtres détournées en parquet en bois de bout, sur le projet de la Ferme du Rail

Des exigences règlementaires pour la construction

Le secteur du bâtiment est aujourd’hui soumis à de nombreuses normes et exigences règlementaires garantissant la qualité et la pérennité de la construction : sécurité incendie, risque sismique, accessibilité, règlementation thermique, etc… La responsabilité quant au respect de ces normes/règlementations est partagée par la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre, qui s’appuient tout au long du projet sur le bureau de contrôle.

Ainsi, les matériaux mis en œuvre doivent avoir des caractéristiques spécifiques comme la réaction ou la résistance au feu, des performances acoustiques, un classement de durabilité du matériau comme le classement UPEC pour les sols, etc… En fonction du bâtiment construit et de la règlementation qui s’y applique (établissement recevant du public, code du travail, logements, …) les exigences sur ces différentes caractéristiques vont varier pour être plus ou moins importantes.

Des matériaux plus performants que l’usage requis

Lorsque l’on souhaite réemployer un matériau et que l’on ne possède pas de fiche technique, la première étape est donc d’identifier la typologie de bâtiment dont le matériau est issu pour pouvoir déterminer ses caractéristiques. Est-ce que la porte provient d’un établissement recevant du public et servait à un cloisonnement coupe-feu 1h ? Est-ce que les dalles de faux-plafond étaient mises en œuvre dans un plateau de bureau avec des exigences acoustiques particulières ?

Une fois ces caractéristiques déduites du premier usage, il est possible de trouver une seconde vie au matériau. Le réemploi peut être pour le même usage, avec les mêmes performances, mais les bureaux de contrôle et assureurs restent réticents et peuvent exiger des essais en laboratoire, qui sont généralement destructifs. Le plus aisé est donc de proposer à ces matériaux une seconde vie avec un usage déclassé.

Par exemple, une porte considérée comme coupe-feu 1h dans son premier usage peut plus facilement est considérée comme coupe-feu 1/2h dans son second usage. Un faux-plafond mis en œuvre dans un établissement recevant du public sera plus facilement réemployable dans un plateau de bureau soumis au code du travail qui est moins exigeant. Il est aussi possible par exemple d’utiliser des fenêtres de réemploi pour des ouvertures dans des cloisons intérieures qui ne nécessitent pas d’exigences particulières liées à l’étanchéité mais un double vitrage permettra d’avoir de bonnes performances acoustiques et thermiques.

Le réemploi permet donc l’usage de matériaux plus performants que ce qui est requis, pour un coût équivalent ou réduit.

Dans le projet de la Halle de Colombelles, les architectes Encore Heureux ont cependant réussi à maintenir le degré coupe-feu de portes issues du réemploi, donnant sur les circulations, sans mise en place d’essais en laboratoire, grâce à un travail de documentation très fourni sur l’usage initial de la porte, le protocole de dépose, la remise en état et la remise en œuvre des portes.

Une conception adaptée pour réduire les exigences règlementaires

Pour compléter cette solution de déclassement d’usage, des astuces de conception peuvent permettre de concevoir avec des matériaux de réemploi. Voici quelques pistes que les architectes sensibles au réemploi savent déjà exploiter :

  • concevoir le cloisonnement des espaces pour déplacer le périmètre coupe-feu et permettre à l’intérieur d’une zone coupe-feu l’usage d’éléments de réemploi non coupe-feu
  • concevoir des aménagements en double-peau sans exigence structurelle, en complément d’éléments structurels neufs
Elding Oscarson, Cloison de bureaux réalisée à partir de magazines de récupération empilés, qui n’ont aucun rôle structurel mais servent uniquement à cloisonner l’espace, Oktavilla, Suède, 2009
©Elding Oscarson, Cloison de bureaux réalisée à partir de magazines de récupération empilés, qui n’ont aucun rôle structurel mais servent uniquement à cloisonner l’espace, Oktavilla, Suède, 2009
Quentin Olbrechts, Philippe Samyn & Partners, Double-peau en façade du siège du Conseil de l’Union Européenne à Bruxelles conçue à partir de menuiseries en bois de réemploi
©Quentin Olbrechts, Philippe Samyn & Partners, Double-peau en façade du siège du Conseil de l’Union Européenne à Bruxelles conçue à partir de menuiseries en bois de réemploi

C’est d’ailleurs le même type de procédé qui est utilisé aujourd’hui pour la mise en œuvre de bétons composés de matériaux recyclés ou biosourcés et qui n’ont pas encore d’avis technique : une structure en poteaux/poutres est mise en œuvre avec du béton « standard » puis les murs, qui ne jouent finalement qu’un rôle de remplissage, sont coulés avec le béton éco-conçu.

Une conception adaptée pour réduire les exigences règlementaires

Enfin, lorsque le réemploi d’un matériau pour un usage similaire n’est pas possible, il reste la possibilité de dégrader complètement la fonction initiale du produit pour n’en garder que la matière. Cette matière peut ensuite être utilisée à titre décoratif ou pour de l’ameublement.

C’est notamment le cas de matériaux composés de bois ou métal, matières très modulables et façonnables, qui peuvent être réutilisés pour un usage totalement différent. Le projet « Ceci n’est pas une porte » porté par AAVP Architecture, Mobius et Ares illustre bien ce propos : 1200 portes issues de l’ancien hôpital de Saint Vincent de Paul sont transformées en tables à destination du Forum International Bois Construction.

Malgré la perte de l’usage du produit « porte », ce type de projet permet d’économiser l’extraction de ressources et de limiter les déchets produits, tout en consommant moins d’énergie qu’un process de recyclage du bois et en créant des emplois.

Légende visuel : ©Ceci n’est pas une porte, Prototype de table réalisée à partir de portes, AAVP Architecture, Mobius et Ares.
©Ceci n’est pas une porte, Prototype de table réalisée à partir de portes, AAVP Architecture, Mobius et Ares.

Les solutions pour faire du réemploi sont donc multiples, tout en respectant la règlementation et les normes de la construction. Lancez-vous !

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