Concevoir avec des matériaux de réemploi

Sophie Lambert 19/06/2020
Tête Bobi

Dans le processus classique dʼune opération de construction, le choix des matériaux de construction intervient tard. Parmi les différents critères de sélection, ceux-ci doivent correspondre aux choix architecturaux définis en amont avec la maîtrise dʼouvrage. Dans ce schéma classique lʼintégration de matériaux de réemploi sʼavère très complexe car trouver le matériau correspondant parfaitement à toutes les exigences à un instant t est quasiment impossible. Concevoir à partir de matériaux de réemploi requiert donc de revoir aussi le processus de choix des matériaux.

Comment sʼy prendre ?

Avoir un cahier des charges ouvert

La première façon de rendre le réemploi plus simple est dʼavoir un cahier des charges pour le choix des matériaux plus flexible. Par exemple, ne pas imposer une référence dans le CCTP et autoriser le titulaire du marché à présenter des variantes en réemploi.

C’est ce qui a été mis en œuvre sur le projet de la Grande Halle de Colombelles à Caen, où la maîtrise d’ouvrage avait une volonté de construire un tiers lieu à partir de matériaux de réemploi locaux. Les DCE ont été rédigés avec une base en matériaux de réemploi, et une variante en matériaux neufs si aucun matériau de réemploi adéquat n’était disponible au moment du chantier.

La particularité de ce projet a été la création d’un « lot 0 ». La mission est de sourcer les matériaux de réemploi, de les remettre en état et mis à disposition des entreprises de travaux en pied de chantier. Ainsi, lors du chiffrage du chantier par les entreprises de travaux, elles ont dû proposer un devis en base avec la prestation de pose uniquement. La fourniture était assurée par le lot 0, et avec en option un devis classique en fourniture et pose. Résultat : 19 tonnes de matériaux issus de déconstructions sur le territoire ont trouvé une seconde vie dans ce bâtiment.

portes réemployées dans les sanitaires de la Grande Halle de Colombelles
©Cyrus Cornut, Encore Heureux Architecte, Portes réemployées dans les sanitaires de la Grande Halle de Colombelles

Identifier les matériaux le plus tôt possible

Avoir un cahier des charges ouvert ne suffit pas, car trouver les bons matériaux au bon moment ne peut pas s’improviser. Un autre levier à activer pour intégrer des matériaux de réemploi est de les identifier le plus tôt possible dans les phases de conception. Cʼest tout lʼintérêt des diagnostics ressources. Ils permettent, pour les projets sur lesquels un bâtiment est démoli ou réhabilité, dʼidentifier les matériaux qui pourraient être réemployés in situ ou ex situ.

L’objectif des diagnostics ressources est de constituer une sorte de catalogue des matériaux disponibles sur un bâtiment. Ces diagnostics sont en général réalisés entre 6 mois et 2 ans avant le démarrage de la démolition. Cela permet dʼavoir une vision du gisement de matériaux disponibles suffisamment en avance pour adapter sa conception.

Le partage des informations des diagnostics ressources entre différents acteurs dʼun même territoire est un enjeu crucial. Ainsi, on peut mettre en valeur les matériaux réemployés auprès dʼun maximum de projets de construction. Les acteurs spécialisés du réemploi ont également une bonne connaissance des gisements disponibles sur un territoire? Cʼest pourquoi il peut être intéressant dʼintégrer dès les phases dʼesquisses une entreprise de réemploi dans lʼéquipe de maîtrise d’œuvre. Elle pourra réaliser un diagnostic territorial des matériaux disponibles et avoir une veille sur ce sujet.

Bobi Réemploi souhaite pour ces différentes raisons mettre en valeur le plus possible les gisements identifiés sur tous les types de missions que nous réalisons. Ils sont visibles sur la page nos catalogues de notre site internet.

Concevoir à partir des matériaux identifiés

Une fois les matériaux identifiés le plus tôt possible, savoir intégrer des matériaux de réemploi nécessite flexibilité et créativité. Cʼest une nouvelle démarche de création qui implique de concevoir à partir de la contrainte de lʼexistant. Mais de nombreux architectes se laissent tenter et y voient une nouvelle façon de travailler, à la recherche de bonnes idées pour mettre en œuvre des matériaux pas toujours uniformes, avec des caractéristiques nouvelles.


Par exemple, l’architecte d’intérieur Maëlle Architecture commence toujours ses projets de cette façon. Elle identifie les matériaux disponibles sur place et dans le réseau d’acteurs du réemploi locaux. Elle dessine ensuite son projet, en fonction des matériaux trouvés, qu’elle propose à ses clients. Le réemploi est pour elle une source d’inspiration dès le démarrage.


Autre exemple, la crèche Justice à Paris, où BFV Architectes et Bellastock ont conçu une façade à partir d’un gisement de portes d’un chantier de démolition voisin. La trame a donc été imaginée à partir de trames de portes existantes. Le résultat démontre bien que le réemploi a de l’avenir !

portes réemployées sur un chantier voisin pour la réalisation de la façade de la crèche justice
©BFV Architectes, Façade de la crèche Justice, conçue à partir de portes d’un chantier de démolition voisin, conçu par BFV Architectes et Bellastock

Néanmoins, tous les acteurs ayant mis en œuvre des matériaux de réemploi restent unanimes. Si la démarche a fonctionné, c’est grâce à l’implication de l’ensemble de la chaine, du maître d’ouvrage jusqu’à l’entreprise de travaux. Il faut donc continuer à sensibiliser sur le sujet du réemploi et multiplier les démonstrateurs pour que cette pratique devienne courante.

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